La crise financière est-elle, selon vous, de type classique, semblable à celle de 1929 ?
Je ne pense pas qu'elle soit comparable à celle de 1929, pour une raison primordiale : la montée en puissance de l'Asie. En 1929, l'Occident était l'unique centre de l'économie mondiale. Aujourd'hui, les grands pays émergents d'Asie constituent, en eux-mêmes, des forces de résistance à la crise. Ils ont leur dynamique propre, assez éloignée du principal foyer d'où la crise a surgi, à savoir les produits dérivés des prêts immobiliers à risques.
L'autre grande différence tient à la nature du système financier actuel. Les crises anciennes étaient liées aux soubresauts cycliques accompagnant l'essor du capitalisme dans le cadre d'un marché bancaire régulé. L'extraordinaire accroissement des flux financiers dû à la déréglementation des marchés, l'apparition de nouveaux acteurs comme les fonds d'investissement spéculatifs, ou de nouveaux instruments comme les titrisations, ont fait exploser un système devenu incontrôlé.
La crise va-t-elle durer ?
Nous ignorons encore combien de temps elle durera et de quelle manière elle affectera l'économie " réelle ". Nul doute qu'elle est très sérieuse et d'un genre nouveau. Mais elle ne provoquera pas un désastre comme en 1929. C'est certes la pire crise, en tout cas aux Etats-Unis, depuis la seconde guerre mondiale. Et croire, comme le prédisent certains experts, que tout redeviendra normal dès l'an prochain, est à mon avis beaucoup trop optimiste.
Comment sortir de la crise ?
Les solutions nationales seront bien sûr insuffisantes. Une action mondiale et globale est nécessaire. Peut-être faut-il remanier totalement les règles de fonctionnement du système financier, notamment en les simplifiant, comme l'a proposé récemment le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson. Le système s'est emballé du fait de la nature même de la concurrence. Les banques ont oublié leurs vieilles règles prudentielles. Il faut les aider à retrouver les moyens d'une certaine prudence, et à restaurer ainsi la confiance, entre elles et envers le public. Mais il faut aussi éviter d'étouffer les nouveaux acteurs et les nouveaux produits, qui ont été très utiles aux investisseurs du monde entier.
Croyez-vous à la thèse du " découplage ", selon laquelle les économies des pays émergents sont devenues assez indépendantes de celle des Etats-Unis pour pouvoir résister à la crise ?
Oui, j'y crois. D'abord parce que la part des Etats-Unis dans le commerce mondial a beaucoup diminué, même si elle reste substantielle, autour de 20 %. Mais surtout parce que les géants d'Asie, la Chine et l'Inde, ont leur propre dynamique de croissance dopée par leurs énormes marchés intérieurs, qui suffiront longtemps à stimuler leur économie.
Va-t-on assister à un rééquilibrage de la mondialisation ?
Il est déjà en cours. Nous approchons de la fin de l'hégémonie des Etats-Unis. Le coeur de l'économie mondiale est en train de se déplacer des Etats-Unis vers l'Asie. Nous sommes au seuil d'une économie globale plus équilibrée. On assiste à d'énormes déplacements dans les capacités de financement de l'économie mondiale. Il suffit de voir l'activisme que la Chine déploie en Afrique. Cela entraînera forcément des rééquilibrages politiques, des transferts de pouvoirs entre les grandes puissances économiques. Le Brésil, par exemple, bénéficiera énormément des nouveaux flux financiers qui lui permettront de développer ses infrastructures.
On entend dire ici que le Brésil, dixième économie du monde, est, parmi les grands pays émergents, le mieux placé pour résister à la crise. Etes-vous d'accord ?
Oui. Pour trois raisons essentielles. D'abord, le Brésil a nettement diminué sa dépendance commerciale envers les Etats-Unis. Ceux-ci n'absorbent plus que 15 % de ses ventes. Le Brésil a su élargir le cercle de ses clients. Ensuite, ses exportations représentent encore une faible proportion de son PIB (12 %), ce qui le rend moins vulnérable aux turbulences extérieures. Enfin, le Brésil regorge des ressources naturelles, produits agricoles et matières premières, dont le marché mondial, notamment en Asie, est demandeur : viande de boeuf, soja, minerai de fer... Résultat, la Chine achète aujourd'hui 10 % des exportations du Brésil, autant que l'Argentine voisine. Le Brésil profite de la montée en puissance de pays, comme la Chine, dotés d'insuffisantes ressources naturelles par rapport à leurs besoins.
Les problèmes économiques du Brésil n'auraient donc pas grand-chose à voir avec la crise financière mondiale ?
En effet. Nous avons subi notre propre crise bancaire au début des années 1990. De nombreuses banques ont disparu. Celles qui survivent sont solides. Aujourd'hui, le principal problème est la difficulté à satisfaire la demande intérieure. Le pays doit maintenir durablement sa croissance (+5,7 % en 2007) pour répondre aux appétits de consommation tout en maîtrisant l'inflation (4,5 %). Il doit aussi éviter une trop forte appréciation de sa monnaie (le real) par rapport au dollar pour ne pas trop pénaliser ses exportations. Il doit enfin encourager encore plus les investisseurs étrangers. Mais tous ces problèmes sont liés à une perspective de prospérité, ils sont heureusement bien différents de ceux que nous avons affrontés pendant des décennies et qui tournaient autour d'une question hélas plus primaire : comment survivre ?
Dans le débat sur la hausse des produits alimentaires, le Brésil est l'un des accusés. A-t-il raison de rejeter tout lien entre sa production massive de biocarburants et la flambée des prix mondiaux ?
Ce lien existe, mais à la marge. Lorsqu'on cultive massivement de la canne à sucre pour produire de l'éthanol, on développe moins les cultures vivrières. La crise alimentaire nous a pris, comme tout le monde, par surprise. Lorsque le Brésil a fait le choix, écologiquement justifié, des biocarburants, il produisait peu de pétrole. La découverte récente d'immenses champs de pétrole, dont l'ampleur exacte reste à confirmer, déplace les données du problème. Ce qui va désormais compter dans la politique énergétique du Brésil, ce sera le coût relatif de l'extraction offshore par rapport au prix mondial du baril.
Propos recueillis par Jean-Pierre Langellier (Rio de Janeiro, correspondant)