... à celles de l'Asie, de la Russie et de l'Argentine

JUSQU'EN 1996, la Thaïlande est une référence. Depuis dix ans, son taux de croissance moyen est de 9 %, son budget est en excédent et ses investissements sont en pleine expansion. Mais l'épargne intérieure n'arrive pas à suivre, conduisant à une aggravation du déficit extérieur - 8 % du produit intérieur brut (PIB) en 1996 -, que les banques thaïlandaises se chargent de financer, en empruntant des dollars. Au début, ce dispositif ne pose pas de problèmes. Les investisseurs sont rassurés par l'indexation du baht, la monnaie locale, sur le dollar. Au printemps 1997, le doute s'installe. La durée des nouveaux prêts se raccourcit, les taux consentis s'élèvent. En juin 1997, des échéances plus lourdes et des déclarations maladroites du ministre de l'économie déstabilisent la situation. Résidents ou non-résidents qui détiennent des baths se mettent à vendre. Préférant devancer l'orage monétaire, concrètement, ils le provoquent. Les capacités de résistance de la Banque centrale, dont les réserves se montent à 25 milliards de dollars, ne durent guère longtemps. Le 2 juillet, elle ne peut plus suivre. Seules deux institutions sont en mesure de lui fournir les dollars qui lui manquent : la Réserve fédérale américaine et le Fonds monétaire international (FMI). A Bangkok, qui regrette la passivité américaine, on se méfie du Japon qui, pourtant, par solidarité asiatique, se dit prêt à aider son voisin. Ne reste que le FMI qui vient à la rescousse le 27 juillet. Le bath a perdu la moitié de sa valeur, la bourse 60 %. Une fois dans la place, le FMI impose une " politique d'ajustement structurel ". Le principe en est simple : augmentation des impôts, baisse de la dépense publique, afin de diminuer la demande intérieure, ce qui ramène le pays à l'équilibre extérieur. En clair, la politique économique menée donne la priorité à la stabilisation du change, mettant au second plan l'objectif interne de croissance.

A la même époque, la Russie connaît une crise également liée au déficit extérieur, mais, dans son cas, ce dernier tient à la situation budgétaire. Le déficit des finances publiques russes tourne alors autour des 7 % du PIB. Il est couvert presque exclusivement par le placement de titres à l'étranger. Au printemps 1998, les intérêts versés par l'Etat représentent la moitié de son budget. Les taux se tendent, le déficit extérieur se creuse. La Banque centrale détient 15 milliards de dollars quand la Russie doit régler 20 milliards avant l'été. Où les trouver ? Aux Etats-Unis ? Washington ne réagit pas. En Europe ? L'Allemagne accepte de faire un effort, mais la Russie préfère ne pas y songer. Reste le FMI...

Cas particulier intéressant, celui de la crise de l'Argentine en 2001. Le pays décide au début des années 1990 d'adopter l'étalon dollar : c'est le " currency board ", pratique qui veut qu'on ne mette de monnaie fiduciaire en circulation qu'à hauteur des dollars détenus par la Banque centrale. En théorie, un déficit extérieur, asséchant les réserves en dollars, réduit les disponibilités monétaires et impose au pays des gains de compétitivité par la baisse de ses prix. En pratique, l'Etat argentin a contourné le " currency board " en ignorant sa Banque centrale et en empruntant force dollars sur les marchés internationaux. En 2001, l'enchaînement fatal s'enclenche.

Aujourd'hui, les pays émergents ne sont plus en déficit extérieur. Ce sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l'Espagne qui le sont, du fait d'un excès de crédit. C'est une autre histoire qui s'écrit, tout en étant fondamentalement la même : celle d'une création monétaire mal maîtrisée.

Jean-Marc Daniel, économiste et professeur à ESCP-EAP

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