AU XIXE SIÈCLE, l'essor du capitalisme n'avait été ni linéaire ni harmonieux. Il fut marqué par une succession de phases de croissance et de ralentissement de l'activité considérées par les économistes comme relevant de cycles récurrents. Cette théorie laissait entendre que leur retour périodique était normal, car lié à l'épuisement progressif de certaines ressources, et ne remettait pas en cause la survie du système : les mécanismes spontanés de l'économie de marché lui permettaient de se sortir spontanément de ces difficultés. Après la dépression du dernier quart du XIXe siècle, une vigoureuse reprise eut lieu, appuyée par une " grappe d'innovations " (automobile, électricité, chimie, aviation...) nées avant la première guerre mondiale, et amplifiées durant et après le conflit.
Aux Etats-Unis, dans les années 1920, ce climat euphorique poussa entreprises et ménages à s'endetter pour investir et consommer. Sans le recours au crédit, cette croissance n'aurait d'ailleurs pas été possible, car la production augmentait plus vite que les salaires et la demande. Mais les crédits servaient aussi à acheter des actions dont les cours ne cessaient de monter, ce qui finit par créer une bulle spéculative.
Les anticipations devinrent moins bonnes durant l'été 1929, en raison d'un ralentissement de l'activité et d'une hausse trop rapide de la valeur des titres par rapport aux bénéfices distribués. La vente de titres par de gros porteurs voulant profiter des cours encore élevés provoqua une baisse, incitant de nombreux " brokers " qui avaient emprunté pour acheter des titres, à les revendre en catastrophe pour éviter la faillite ; ils furent imités par les petits porteurs voulant vendre " avant qu'il ne soit trop tard ". Du 24 octobre (le " jeudi noir ") au mardi 29 octobre, 30 millions de titres furent vendus à la Bourse de New York. Le Dow Jones passa de l'indice 469 le 24 octobre à 220 le 15 novembre, faisant perdre 30 milliards de dollars aux détenteurs de titres, et tomba à 42 en 1931.
Les pertes de revenu de nombreux petits porteurs communiquèrent la crise financière à l'économie réelle. Incapables de rembourser leurs crédits, ils provoquèrent la faillite de certaines banques, ce qui poussa les déposants à retirer leurs avoirs. Ebranlé, le système bancaire dut restreindre les prêts aux entreprises, déjà victimes de la baisse de la consommation. La contraction de la demande entraîna la baisse des prix, des profits, des investissements et finalement de l'emploi. La montée du chômage et la baisse des salaires qui s'ensuivit accentuèrent la spirale dépressive. La récession s'étendit ensuite au reste du monde en raison du retrait des capitaux américains et de la diminution des importations américaines.
Pour une base 100 en 1913, l'indice de la production industrielle mondiale passa de 153 en 1929 à 108 en 1932 ; le taux de chômage atteignit 25 % aux Etats-Unis en 1933 (12,8 millions de chômeurs), 15 % en Allemagne (6 millions), plus de 13 % au Royaume-Uni (plus de 4 millions). Parallèlement, le commerce international se réduisit de 25 % en termes réels et des deux tiers en valeur, compte tenu de la baisse des prix.
L'ampleur de la crise remit en cause le fonctionnement libéral de l'économie et poussa les Etats à intervenir par le lancement de grands travaux, l'établissement de barrières douanières ou la dévaluation (la livre sterling en 1931, le dollar en 1934, le franc en 1936), que ce soit à travers le New Deal du président Roosevelt aux Etats-Unis, ou l'instauration d'Etats totalitaires en Allemagne, en Italie et au Japon.
Pierre Bezbakh, maître de conférences à l'université Paris-Dauphine.