Puiser dans les énergies fossiles sera de plus en plus cher, en attendant que de nouvelles sources soient développées
L'âge de pierre ne s'est pas arrêté par manque de pierres. " Cette phrase souvent attribuée à Cheikh Yamani, ancien ministre saoudien du pétrole, symbolise à la fois le fait que le XXIe siècle verra, comme le XIXe, un changement de " modèle énergétique ", qui n'attendra pas l'extraction de la dernière goutte de pétrole pour se manifester, et que la hausse continue du prix du baril est bel et bien, au-delà des causes géopolitiques, spéculatives ou saisonnières, un signe de l'émergence de ce nouveau modèle.
Le réchauffement climatique, dû en grande partie à l'utilisation intensive des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), ne fait qu'accélérer la mise en évidence des autres défauts de l'actuel système énergétique : les ressources, de plus en plus coûteuses à exploiter dans la mesure où les gisements les plus faciles d'accès sont en voie d'épuisement, sont concentrées dans des zones géopolitiquement risquées pour les pays occidentaux, comme le Proche-Orient, la Russie, l'Afrique centrale et même l'Amérique latine. Plus les réserves s'épuiseront, plus leur exploitation sera coûteuse et le partage de leurs revenus source de conflits.
Certes, les technologies permettant de viabiliser l'exploitation de gisements actuellement non rentables, d'en limiter les effets négatifs, comme la capture et la séquestration du CO2, peuvent être développées, mais cet effort conduira aussi à un renchérissement continu du prix de l'énergie finale. Certes, la modification des comportements et des réglementations permettrait d'obtenir une économie moins énergivore, mais les besoins des pays émergents et en développement sont tels que la demande d'énergie ne cessera de toute façon de croître vertigineusement, à l'échelle de la planète. Certes, des mécanismes de marché comme les permis échangeables de quotas de CO2, ou des instruments de régulation comme le protocole international de réduction des émissions de CO2 qui doit être signé d'ici à 2009, peuvent limiter les dégâts. Mais ils contribueront aussi au renchérissement de l'énergie.
Aucune transition entre des modèles énergétiques ne s'est faite d'un seul coup, mais par glissement progressif au fur et à mesure que des sources d'énergie nouvelles s'avéraient moins coûteuses, en efforts ou en argent, que celles déjà disponibles. Il est encore impossible de dire si, parmi les multiples " alternatives " que la recherche et la technologie rendent disponibles, l'une d'elles serait susceptible de tenir le haut du pavé, tant les partisans et les détracteurs de chacune d'entre elles - biomasse, éolien, solaire, nucléaire, hydrogène, etc. - sont capables d'argumenter jusqu'à plus soif.
L'issue ne serait-elle pas d'éviter de rechercher à tout prix une et une seule solution, présentant, en toutes circonstances, en tous lieux et le plus longtemps possible, le meilleur compromis entre coût, risque pour l'environnement et sécurité d'approvisionnement ? Les économistes de l'énergie préfèrent mettre en avant la notion d'ordre de mérite (merit order) : entre toutes les sources d'énergie disponibles, il s'en trouve toujours une qui, en un lieu et en un temps donnés, présente un meilleur compromis qu'une autre... avant de lui céder la place. Cela suppose une production décentralisée, loin du modèle des " centrales " si bien nommées, afin de tirer parti des ressources spécifiques à chaque territoire, mais aussi un système d'information capable de détecter en temps réel le " mérite " respectif de chaque source d'énergie à l'échelle d'une région du monde ou d'un pays, et, enfin, un système de distribution capable d'acheminer l'énergie ainsi sélectionnée jusqu'au consommateur.
A. R.