Le retour de l'agriculture au coeur des politiques de développement

Les partisans d'une extension de la productivité agricole et ceux d'une meilleure utilisation des écosystèmes s'affrontent

La hausse des prix alimentaires, si elle suscite la colère des plus démunis et l'inquiétude des consommateurs, a pourtant deux mérites : elle pourrait augmenter le revenu des 2,5 milliards d'agriculteurs pauvres vivant dans les pays en développement ; elle pourrait inciter gouvernements, bailleurs de fonds et investisseurs à se préoccuper d'un secteur longtemps délaissé, alors qu'il y a urgence.

Pour subvenir aux besoins des 9 milliards d'habitants de la planète en 2050, il faudra doubler la production actuelle. De plus, l'agriculture, dans les pays du Sud, ne fournit pas que des aliments, mais aussi des emplois à des millions de paysans qui, sinon, iraient grossir des villes congestionnées.

Alors que les politiques de développement ont longtemps privilégié l'industrialisation urbaine et les cultures exportatrices (coton, café, canne à sucre, fruits exotiques, etc.), avec pour objectif l'intégration des économies du Sud dans la mondialisation, redonner la priorité à l'agriculture vivrière est aujourd'hui devenu une antienne. C'est la thèse du rapport 2008 de la Banque mondiale sur le développement - entièrement consacré à l'agriculture pour la première fois depuis 1982.

Mais comment s'y prendre ? Pour l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et nombre d'économistes, la hausse des prix supprime la justification des subventions aux agriculteurs occidentaux ; elle permet à leurs collègues du Sud de devenir compétitifs sur les marchés et d'acquérir les outils d'une meilleure productivité (engrais, machines, industries de transformation) : il faut donc supprimer barrières douanières et subventions, afin que le marché rétablisse l'équilibre entre l'offre et la demande mondiales. Certains économistes du développement craignent cependant que l'asymétrie politique entre pays riches et pauvres ne provoque en un premier temps l'exportation massive de produits du nord vers le sud, tant que l'accès des agriculteurs du Sud aux marchés, y compris dans leur propre pays, reste entravé par le manque d'infrastructures (transports, crédit bancaire). De plus, les pays du Sud seraient inégaux face à une libéralisation : des agricultures déjà industrialisées, comme celles de l'Amérique latine, inonderaient l'Afrique et l'Asie du Sud, où domine encore l'agriculture familiale. Il faut donc protéger et subventionner l'agriculture des pays pauvres jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau de compétitivité suffisant.

Mais les agronomes réunis dans des exercices de prospective des Nations unies - l'" Evaluation des écosystèmes pour le millénaire " (2001-2005), l'" l'Evaluation internationale des sciences agronomiques et technologiques en faveur du développement " ( 2005-2007) ou, en France, " Agrimonde, agriculture et alimentation en 2035 " (2006-2008) - ont montré que l'extension planétaire du modèle productiviste occidental achèverait de ruiner des écosystèmes. Ils prônent plutôt l'utilisation intensive de technologies exploitant les possibilités des écosystèmes en place pour augmenter la production (assolement, mélange des espèces), certes plus proches du jardinage que de l'agro-industrie, mais conformes aux capacités des exploitations familiales. Les aides publiques seraient alors redéployées vers la petite irrigation, la lutte contre l'érosion et la formation des agriculteurs à ces technologies " douces ".

Antoine Reverchon

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