La puissance de frappe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) s'appuie sur des multinationales performantes
C'est l'accumulation d'une série d'indices qui ne trompent pas, à commencer par l'OPA lancée le 27 janvier 2006 par le groupe indien Mittal Steel, sur le fleuron sidérurgique européen Arcelor. Quelques mois plus tard, en novembre, la République populaire du Vietnam obtient un blanc-seing pour intégrer le club de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), après que le gouvernement communiste de Hanoï a signé un accord bilatéral avec son ancien ennemi américain... Les images des boat people fuyant le pays quelques années après la chute de Saigon en 1975 sont loin. L'opinion mondiale a aussi dû apprendre à décrypter l'acronyme BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) pour désigner les quatre pays émergents qui prennent le relais des Etats-Unis et de l'Europe pour tirer la croissance mondiale vers le haut. Il lui faut aussi se familiariser avec les noms de multinationales - Cemex (cimentier mexicain), Lukoil (pétrolier russe), Coteminas (société de textile brésilienne), TCL (fabricant chinois de matériel électronique) - qui figurent désormais dans les classements mondiaux des entreprises en forte croissance, qui grignotent petit à petit les places des groupes occidentaux. Cette vague semble avoir davantage marqué les esprits que celle des années 1960 qui avaient vu le décollage des " dragons " asiatiques (Corée du Sud, Hongkong, Singapour et Taïwan). Elle sera bientôt suivie par une autre, puisque, dans une étude réalisée en mars, les experts du Crédit agricole annoncent " le temps des "Prochains 13" " pays qui, selon eux, auront le plus fort potentiel de croissance au cours des années à venir. Et de citer la Turquie, l'Afrique du Sud, l'Ukraine, l'Egypte, le Nigeria, la Malaisie, etc.
D'atelier du monde, la Chine s'est hissée au rang de deuxième exportateur et de troisième importateur mondial (en général, mais aussi de pétrole). En 2007, selon l'économiste Françoise Lemoine, avec 5,4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial (en dollars courants) et 11,9 % de croissance, elle a d'ores et déjà contribué plus que les Etats-Unis à la croissance mondiale (27,5 % du PIB mondial mais 1,9 % de croissance). Quant à l'Inde, explique la chercheuse du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), elle y a contribué autant que le Japon. Les projections réalisées par la Banque mondiale montrent que ce rééquilibrage - même si la Chine et l'Inde ne seront pas épargnées par des crises de confiance dans les années qui viennent - devrait faire de l'empire du Milieu la première puissance mondiale d'ici à 2050 (28 % du PIB planétaire contre 26 % pour les Etats-Unis), l'Inde prenant la troisième place (17 %) devant l'Union européenne (15 %). Bref, au seul poids démographique que représentaient hier les pays émergents s'ajoute un poids économique de plus en plus prégnant : fin 2006, ils représentaient 70 % environ des réserves de change mondiales, et 50 % de la consommation d'énergie de la planète. Lundi 21 avril, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) annonçait que, " pour la première fois dans l'histoire de l'ère industrielle ", la Chine, l'Inde, la Russie et le Moyen-Orient allaient consommer en 2008 plus de pétrole que les Etats-Unis. Ils vont ainsi " brûler " 20,67 millions de barils par jour contre 20,4 millions pour le continent américain. Ce n'est pas le seul record enregistré cette année. Si, depuis les années 1990, les Américains dominaient la Toile, depuis le mois de mars c'est fini, puisque la Chine compte désormais davantage d'internautes (220 millions d'utilisateurs) que les Etats-Unis (215,1 millions). Il y a huit ans, seulement 22,5 millions de Chinois surfaient sur le Net. Compte tenu de la population de 1,4 milliard d'habitants, cette progression chinoise s'explique presque mécaniquement, et le taux de pénétration d'Internet reste bien en deçà (16 %) de celui qui prévaut aux Etats-Unis (71 %). Mais une chose est claire : l'ascension est fulgurante.
Marie-Béatrice Baudet