Singapour au secours de Merrill Lynch

LE FIER taureau, symbole de la puissance de Merrill Lynch, a perdu de sa superbe. La direction de la banque américaine vient d'annoncer à la mi-avril - pour la troisième fois consécutive - une perte trimestrielle de 1,9 milliard de dollars et de nouvelles dépréciations d'actifs de plus de 9 milliards de dollars. La débâcle des CDO (Collaterized Debt Obligations), ces produits financiers complexes adossés aux crédits hypothécaires, a entraîné chez Merrill Lynch 30 milliards de dollars de dépréciations d'actifs depuis le début de la crise de l'immobilier. Pour certains analystes, le géant de Wall Street n'a pas encore vu la fin du tunnel.

Le nouveau patron de Merrill Lynch, John Thain, ancien du New York Stock Exchange et d'Euronext, a été appelé à la rescousse fin 2007. Il a dû revoir à la baisse les prétentions de la plus grande société de courtage au monde qui, grâce aux publicités dans les journaux et aux réunions publiques, se faisait fort de montrer au grand public les vertus de la Bourse et de transformer l'Américain moyen en actionnaire. En cours de route, Merrill Lynch avait élargi son champ d'action à la banque d'investissement. Ces derniers temps, l'établissement était devenu le premier fournisseur d'instruments CDO. La banque avait capturé 45 % des parts de marché des financements structurés. Elle pariait gros et gagnait gros... jusqu'à ce qu'éclate la crise.

M. Thain a dû gérer des lendemains moins euphoriques. 4 000 suppressions d'emplois viennent d'être annoncées. Le PDG, qui a abandonné le projet de construction d'un nouveau siège social à Manhattan, a dû vendre certaines filiales et s'en est allé tendre la sébile aux portes des fonds souverains pour recapitaliser la banque. Merrill Lynch a ainsi déjà levé plus de 12 milliards de dollars auprès de Temasek Holdings, représentant l'Etat de Singapour, Kuwait Investment Authority, Korea Investment Corporation...

Certains observateurs n'ont guère apprécié cette incursion de financiers étrangers au coeur de Wall Street. Desmond Lachman, du laboratoire d'idées American Enterprise Institute, souligne le " manque de transparence " de ces fonds, s'interrogeant sur leurs " motivations politiques ". Doug Rediker de la New America Foundation préfère croire en leur bonne foi et en leur quête " de solides investissements à long terme ". Bien sûr la tempête que traverse la banque en a meurtri plus d'un, tout particulièrement les 16 600 conseillers financiers qui s'estiment injustement punis par les écarts de leurs collègues des marchés. " Les conseillers sont en colère, explique Mickey Wasserman, un chasseur de têtes, spécialiste de l'industrie financière. Ce sont de fiers leaders qui ont l'habitude d'établir les meilleurs pratiques de la profession. Et les autres suivent l'exemple. " M. Thain, qui a compris les états d'âme de ses troupes, tente de leur montrer plus de considération. Il les a réunis pour les informer. Connu comme le loup blanc, il a malgré tout inscrit son nom sur un badge pour leur faire sentir qu'il était un des leurs.

Caroline Talbot (New York, Correspondance)

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