LA ROUTE traverse une brousse aride. Pas une ombre, pas une goutte d'eau à la ronde. Soudain, une tache verte vibre dans la lumière blanche. Un mirage ? Non, un champ de riz irrigué par une motopompe tirant l'eau du fleuve Sénégal, deux kilomètres plus au nord.
La vallée, de Saint-Louis à Podor, est au coeur du projet sénégalais d'autosuffisance alimentaire. Cent mille tonnes de riz blanc ont été produites ici en 2007. On en attend trois fois plus cette année, mais l'objectif, pour couvrir les besoins du pays, est d'un million de tonnes en 2015. A raison de 70 kilos par personne et par an, le riz est l'aliment de base des Sénégalais, mais 80 % de la consommation est importée d'Asie. L'explosion des prix mondiaux (30 % en deux mois sur les marchés de Dakar) a mis des centaines de milliers de Sénégalais à la disette et provoqué une " marche de la faim " à Dakar, le 30 mars.
Même à Ross Bethio, " capitale du riz ", un gros bourg poussiéreux le long de la route, il est difficile d'en trouver. " On a tout vendu ! ", sourit Abdoulaye Faye, porte-parole d'une amicale de 12 000 cultivateurs de la région. Il n'en a pas toujours été ainsi : longtemps, les consommateurs sénégalais ont snobé la production nationale pour le riz asiatique, meilleur marché et plus goûteux. Une habitude prise durant la colonisation : la France faisait venir du riz d'Indochine, afin que les Sénégalais se consacrent à l'arachide.
Les cultivateurs de la vallée, abonnés aux stocks invendus et aux ardoises chez les institutions de crédit agricole, laissaient donc en friche les trois quarts des terres cultivables - certaines aménagées à grands frais par le gouvernement ou la coopération internationale. C'est finalement un mécanisme du marché, la hausse des prix mondiaux, qui a fait fructifier les centaines de millions d'euros d'aide et d'investissements publics engloutis dans la filière !
Un signe ne trompe pas : les luxueux 4 × 4 des grands marchands de Dakar ont commencé à affluer à Ross Bethio. " Ils cherchent des partenaires pour investir ", croit savoir M. Faye. La récolte de juin, attendue avec impatience, pourrait rapporter gros, pour la première fois. " J'ai planté 50 hectares cette saison contre 20 à la dernière ", affirme Baye Adiouma Gueye, un cultivateur qui tient aussi le fast-food La Case, au centre-ville. Pour irriguer ses champs, il a reçu l'une des 1 600 grosses motopompes indiennes distribuées en 2007 et bénéficie, comme tout le monde, d'une subvention de 70 % sur les engrais.
" Nous disons depuis des décennies que les importations ne garantissent pas la sécurité. On nous écoute enfin ! ", se réjouit Mamoudou Dème, directeur général de la Société d'aménagement et d'exploitation des terres de la vallée du fleuve Sénégal (SAED), qui vient d'ouvrir 15 000 hectares supplémentaires à la culture du riz. " La flambée des prix est une opportunité. Nous devons reprendre en main notre dignité de vivre. "
Serge Michel (Ross Bethio, envoyé spécial)