Les solutions d'urgence pour sauver les plus démunis de la pénurie risquent aussi d'avoir des effets négatifs
Face à la flambée des denrées alimentaires, le Bangladesh a remplacé les portions de riz de son armée par des pommes de terre, plus abondantes, moins chères. A la suite de l'alerte lancée par le Programme alimentaire mondial (PAM), qui estime que 100 millions de personnes sont menacées par le " tsunami silencieux " de la crise alimentaire, les Etats-Unis ont octroyé 200 millions de dollars d'aide supplémentaires, le Japon 100 millions et l'Union européenne 117 millions d'euros.
Mais ces décisions de court terme ne feront pas baisser les prix. Surtout, l'aide alimentaire entre en concurrence avec les produits locaux, et entrave le développement de la production agricole.
Un autre type de mesures d'urgence fait débat : les restrictions d'exportations prises par les Etats producteurs de blé ou de riz, comme l'Egypte, le Vietnam et tout dernièrement le Brésil, pour garantir des prix accessibles à leurs propres populations. Elles compliquent l'approvisionnement des pays importateurs et, en limitant les quantités disponibles sur le marché mondial, font grimper les cours. " Si nous restreignons les échanges, nous ne ferons qu'ajouter la rareté des produits alimentaires aux problèmes déjà importants de pénuries qui existent dans plusieurs pays ", a déclaré Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, estimant que l'Organisation mondiale du commerce devait pousser au maintien des exportations. La Banque asiatique de développement a, elle, invité les Etats à privilégier les mesures fiscales pour aider les plus pauvres.
La crise alimentaire mondiale - et la nécessité de faire baisser les prix - relance d'un coup le vieux débat entre les tenants du libre-échange et du protectionnisme en matière agricole. Les premiers, comme Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international (FMI), estiment qu'il faut accélérer la conclusion du cycle de Doha sur les échanges mondiaux, toujours en négociation. " Cela réduirait les barrières douanières et les distorsions de concurrence et favoriserait le commerce agricole ", a-t-il estimé dans le Financial Times. Le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), Ban Ki-moon, a de son côté dénoncé les subventions agricoles accordées par les pays riches à leurs producteurs et les aides à l'exportation qui pénalisent les pays pauvres.
D'autres, au contraire, considèrent qu'il faut développer des politiques de soutien aux agriculteurs. " Plus on libéralise, et plus il y a de spéculation, et donc plus il y a de volatilité ", estime Jacques Carles, directeur du Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (Momagri), un groupe de réflexion français. Nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut donner les moyens aux pays pauvres d'assurer leur autosuffisance alimentaire, délaissée par erreur au profit de l'essor des cultures d'exportation, en développant une véritable politique agricole, comme l'a fait l'Europe au sortir de la seconde guerre mondiale avec la politique agricole commune (PAC). Mercredi 23 avril, les pays de l'Union monétaire ouest-africaine ont ainsi annoncé vouloir développer leur politique agricole en vue " d'accroître l'offre de denrées alimentaires " et de résoudre l'inflation, cause des émeutes de la faim.
Laetitia Clavreul