Les axes d'une mobilisation dans l'urgence

Les opérations de sauvetage du secteur financier élaborées par les autorités américaines et britanniques, qui ont notamment permis d'éviter les faillites de Bear Stearns ou de Northern Rock et autorisé les banques à échanger des titres hypothécaires contre des emprunts d'Etat, ont quelque peu rassuré les marchés ces dernières semaines. Jusqu'ici, ils s'inquiétaient du risque que pourrait faire peser sur la planète finance la disparition d'une grande banque. Les augmentations de capital massives annoncées par des établissements comme l'Union des banques suisses (UBS) ou Royal Bank of Scotland pour reconstituer leurs fonds propres ont aussi été interprétées comme des preuves que le secteur assainissait ses comptes. Mais la crise financière n'est pas jugulée pour autant et ses effets sur l'économie réelle ne sont pas encore tous connus.

Après des mois d'incertitude, " je suis soulagé de voir que le risque systémique est sous contrôle. Un médicament existe, la Réserve fédérale américaine l'a démontré en prenant en charge des titres adossés à des créances, même s'il y aura peut-être d'autres poussées de fièvre ", témoigne Xavier Moreno, président du fonds d'investissement Astorg Partners. " Lorsque le circuit financier se grippe, les administrations américaines troquent leur dogme libéral contre un interventionnisme pragmatique dévoué à rétablir la confiance coûte que coûte ", rassure aussi Gérard Moulin, gérant d'actions de la banque Delubac & Cie dans une note publiée en avril.

Outre l'action de l'Etat et des banques centrales, des signes que le marché pourrait s'intéresser à nouveau - à des prix décotés - aux actifs financiers à risques sont aussi favorablement perçus : " Les annonces de créations de fonds recueillant les actifs défaillants permettent d'isoler des bilans les expositions des banques et, éventuellement, de revendre en totalité ou partiellement, avec une décote, ces actifs à des fonds spécialisés. Cette procédure a été employée par Deutsche Bank sur un portefeuille de LBO - leveraged buy-out, rachat d'entreprise avec endettement - de 20 milliards de dollars ", expliquent Christian Parisot et Jean-Louis Mourier, économistes de la société de Bourse Aurel, dans leur étude parue lundi 21 avril.

Mais ces hirondelles ne seront sans doute pas assez nombreuses pour faire le printemps sur la planète finance et dans la sphère économique. Les turbulences sur les marchés financiers " durent plus longtemps que nous ne l'avions anticipé ", ont reconnu les ministres des finances et les gouverneurs de banque centrale des pays du G7, réunis à Washington, vendredi 11 avril. " La crise des crédits hypothécaires aux emprunteurs à risques (subprimes) a désormais des répercussions plus générales sur les marchés de capitaux et les institutions financières, et elle continue de résister aux efforts des autorités pour mettre au point des contre-mesures efficaces ", a aussi reconnu le comité des marchés financiers de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l'issue d'une réunion, mardi 15 avril. Les professionnels auditionnés par ce comité " estiment qu'il faudra douze à dix-huit mois aux marchés de capitaux pour se redresser ".

Le préalable est que la confiance soit ramenée sur la santé des différentes institutions financières. Le G7 a donc lancé un ultimatum de cent jours aux banques pour dévoiler le montant des pertes et leur demande " de faire preuve de toute la transparence sur les risques auxquels elles sont exposées ". Selon le Fonds monétaire international (FMI), les pertes pourraient atteindre 945 milliards de dollars tandis que, pour l'OCDE, la " première vague " pourrait avoisiner 422 milliards de dollars, nécessitant des recapitalisations bancaires - déjà commencées. " Les banques pourraient avoir besoin de six à douze mois afin de se remettre de pertes de cette ampleur, voire plus s'il faut mobiliser des capitaux pour assurer la croissance effective de leurs bilans ", dit le comité des marchés financiers de l'OCDE.

La persistance de la crise, les signes de récession au premier semestre aux Etats-Unis, la flambée des prix des matières premières - le FMI n'anticipe " généralement " qu'une " petite " baisse plus tard, en 2008 et en 2009, sous l'effet du ralentissement économique mondial car il affecte moins les pays émergents - ne sont pas de bon augure. Le FMI, qui voit la croissance mondiale ralentir à 3,7 % en 2008, soit une baisse de 1,25 point, estime qu'elle " devrait rester plus ou moins inchangée en 2009 ", dans ses prévisions publiées en avril.

Aux Etats-Unis, les pouvoirs publics parient cependant sur un rebond rapide de l'économie, soutenue par les baisses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale (Fed), le plan de relance budgétaire de l'administration Bush et les initiatives pour soutenir le secteur bancaire. Lors de son audition au Congrès, mercredi 2 avril, le président de la Fed, Ben Bernanke, a évoqué la possibilité d'une récession au premier semestre mais parié sur un redressement au second, et un rebond la croissance en 2009. Toute la question est de savoir si les mesures de relance auront un effet durable ou ne seront qu'un feu de paille. " Nous doutons sérieusement qu'une reprise aussi rapide soit probable ", dit James Knightley, économiste de la banque ING, dans une note publiée jeudi 3 avril, en rappelant que " la crise du crédit bat toujours son plein, les chutes des prix immobiliers et de la Bourse dépriment la confiance et le marché du travail a seulement commencé à perdre des emplois ". Difficile d'envisager une crise courte dans ces conditions.

Adrien de Tricornot

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